Avant la crise, la success story. Créée en 2010 par Bruno Crastes, H2O AM a subjugué le marché pendant plusieurs années par ses performances hors normes. Des stratégies complexes, de la diversification et des paris audacieux auxquels peu de gérants de la place se risquent. La recette mystère fonctionne, les rendements à deux chiffres parlent d’eux-mêmes et compensent le manque de transparence souvent reproché à la société de gestion. Les distributeurs et assureurs ne font pas les fines bouches et se laissent séduire par cette réussite.
Jusqu’à la chute de l’ex-star des marchés.
La crise commence en juin 2019. Un article du FT Alphaville met le feu aux poudres en dévoilant les prises de positions de H2O AM dans la société Tennor Holding de Lars Windhorst. Au-delà de la réputation controversée de l’homme d’affaires allemand, le décalage entre ces obligations illiquides et la promesse de H2O AM à ses investisseurs privés de pouvoir retirer leur argent quotidiennement est mis à nu. « H2O semble détenir plus de 1,4 milliard d’euros en obligations émises par des véhicules financiers liés à M. Windhorst dans les six fonds, écrit
à l’époque Robert Smith, le journaliste à l’origine des révélations. Chacun d’eux détient une exposition comprise entre 5,5 % (…) et 13,7 % (…) ». Les six fonds épinglés sont Adagio, Allegro, Moderato, Multibonds, Multistratégies et Vivace, tous à valeur liquidative quotidienne. De son côté, Morningstar suspend la notation « bronze » du fonds Allegro. Les investisseurs paniquent et retirent près de 8 milliards d’euros en quelques jours, forçant Bruno Crastes à monter au créneau pour défendre sa maison. Le gérant star écoule plus de 300 millions d’euros de ces titres illiquides et assure qu’il ne gèlera pas les sorties de ses fonds. Bien mal lui en a pris…
« La vraie question pour nous est de savoir s’il y avait quelque chose dans ces positions qui n’était pas honnête. Ce n’était pas le cas. Nous avons mal interprété le ratio de contrepartie, mais je ne pense pas que ce soit extrêmement sérieux », argumentera le fondateur de H2O AM lors d’une conférence Morningstar en novembre 2019. Dans la foulée de cet épisode marquant, Natixis IM commande un audit sur sa filiale, dont les résultats n’ont pas vocation à être communiqués en externe.
L’orage passe et les esprits s’apaisent…jusqu’à ce que l’épidémie du Covid-19 perturbe les marchés financiers en mars 2020. H2O AM essuie de sérieux revers et voit certains de ses fonds dévalués à plus de 50 %. Conséquence, leur part d’illiquidité augmente au-dessus des 10 % autorisés. L’AMF et son homologue britannique, la Financial Conduct Authority, veillent au grain mais patientent, rassurées dans un premier temps par l’accord que H2O AM tente de sceller avec Lars Windhorst pour le rachat de ces actifs. Sauf que l’accord échoue et que la part d’illiquidité des fonds demeure supérieure aux normes européennes. Morningstar en rajoute une couche en avril en dégradant la note du fonds H2O Allegro à négative, invoquant une « mauvaise gouvernance ».
Le couperet tombe le 28 août : l’AMF ordonne à H2O de suspendre les souscriptions et rachats sur trois de ses OPCVM, H2O Allegro, H2O Multibonds et H2O Multistratégies. Le gel est demandé pour « préserver l’intérêt des porteurs de parts et du public », justifie le gendarme financier dans un communiqué. La sanction, déjà sévère, est accentuée par la décision de la société de gestion d’appliquer la suspension à cinq autres de ses fonds : H2O Adagio, H2O Moderato, H2O MultiEquities et H2O Vivace, ainsi qu’au FIA H2O Deep Value. Ils présenteraient, selon elle, des « incertitudes de valorisation liées à leur exposition significative en titre privés et à l’exécution très partielle du contrat de cession ».
La filiale de Natixis IM a recours au mécanisme de side-pocket : les titres liquides sont séparés de ceux illiquides, en attendant que H2O AM parviennent à s’en débarrasser. Prévu pour quatre semaines, le gel devait se terminer fin septembre. La société de gestion a finalement reporté l’échéance au 13 octobre, arguant de la complexité de la procédure.